Critiques de W. Kent Kruger et Henning Mankell (in French)


Aurora, Minnesota
W. Kent Krueger
Titre original : Iron Lake
Traduction de Philippe Aronson
(Éditions Cherche-Midi)

Un jeune camelot disparaît par une froide journée de blizzard après avoir fini sa livraison de journaux. Le dernier client de sa tournée, le juge d’Aurora, est retrouvé mort et tout porte à croire qu’il s’est suicidé. A moins qu’il ne s’agisse d’un meurtre maquillé dont Paul, le camelot, aurait été témoin malgré lui, ce qui expliquerait sa disparition subite. C’est du moins ce que croit Cork O’Connor, ancien shérif d’Aurora, qui tente de retrouver le garçon.

A la suite d’une manifestation sur les droits de chasse des autochtones, Cork a été démis de ses fonctions de shérif.  Un de ses amis et un manifestant ont trouvé la mort cette journée-là à la suite d’une bavure et O'Connor s’en remet très difficilement. Il vit séparé de sa femme et de ses enfants et s’occupe à de petits boulots.  C’est par amitié pour la mère du jeune camelot qu’il accepte de fouiner aux alentours.

Un vieil indien le met en garde contre le Windigo qui aurait proféré son nom ainsi que ceux de quelques personnages louches de la région. On ne rigole pas avec le Windigo, ce géant au cœur de glace, qui sort de la forêt pour dévorer ses proies non sans les avoir identifiées au préalable.

Étant irlandais par son père et indien anishnabe par sa mère, Cork a du respect pour les croyances du peuple.  Mais ses années d’expérience dans la police de Chicago et à Aurora lui ont surtout démontré que les manigances des hommes sont plus souvent à l’origine des tragédies humaines que le fait des fantômes de la forêt.

Une visite inattendue et plutôt musclée, au chalet qu’il habite depuis sa séparation, lui confirme que son enquête dérange. Mais la liste des victimes du Windigo s’allonge sans que O'Connor n’arrive à établir de liens entre elles et il sent le souffle glacé du Wendigo dans son cou.

Je ne saurais expliquer pourquoi le roman nordique me plait autant : le décor, le froid, la neige, l’isolement dû aux tempêtes, le tempérament casanier des habitants. Krueger sait bien rendre ce climat d’austérité qui ne pardonne pas et qui façonne des personnalités fortes et rudes. Il nous amène à changer d’opinion sur les différents protagonistes tout au long du récit et nous ballade d’un suspect à l’autre à son gré. Très bon rythme et une finale qui laisse des blessures profondes, pas forcément raccommodables.

Une première traduction des enquêtes de Cork O’Connor qui sera, je l’espère, suivie de plusieurs autres. Il y en a déjà 11 en version originale. 

Récipiendaire d’un Anthony Award et d’un Barry Award aux États-Unis (où il est connu sous son nom complet de William Kent Kruger) pour le meilleur premier roman policier de 1999, Kruger a aussi remporté deux autres Anthony Awards en 2005 et 2006 pour Blood Hollow et Mercy Falls, des titres de la série Cork O’Connor.
********************************************

Le chinois
Henning Mankell
traduction : Rémi Cassaigne
Titre original suédois : Kinesen
(Éditions Seuil Policiers)

Un début époustouflant. Un village entier du nord de la Suède est décimé à l’arme blanche, à l’exception de trois personnes. On se dit que Mankell n’a pas perdu la main et que malgré la mise au rencart de son inspecteur Wallender, il connait la recette pour ce qui est d’appâter ses lecteurs.

Deux femmes mènent l’enquête : Vivi Sundberg, une policière de la petite ville voisine du lieu du massacre, et une juge d’instruction, Birgitta Roslin, qui reconnait le nom de certaines victimes. Il s’agit des parents de sa famille d’adoption. Comme elle se trouve en convalescence pour cause de surmenage, elle décide de se rendre sur place. Le village est fermé au public pour fins d’enquête, mais elle réussit à glaner quelques informations sur un mystérieux chinois qui aurait résidé à l’hôtel voisin, la veille du crime. Un ruban rouge a été retrouvé près d’un cadavre, semblable à ceux qui décorent les lanternes du seul restaurant chinois de l’endroit. Pour la policière, il s’agit de l’oeuvre d’un désaxé. La juge pense plutôt à un règlement de compte. Munie d’une image floue captée par la caméra de surveillance de l’hôtel, Birgitta décide d’accompagner une amie à un congrès à Pékin.

A ce stade du roman, l’enquête est mise en veilleuse. On se transporte en Chine autour de 1860. Pour fuir la misère de la campagne, San et ses frères tentent de rejoindre la ville. Ils sont kidnappés et emprisonnés sur un navire en partance pour l’Amérique où ils serviront de main d’oeuvre bon marché pour la construction d’un chemin de fer, sous la férule d’un contremaitre suédois tyrannique. Seul San réussira à revenir en Chine, mais avec la rage au coeur et une volonté inébranlable de venger sa famille.

J’ai beaucoup aimé ces deux premiers pans de l’histoire. Mais il devenait facile de deviner qu’un descendant de San avait réussi la mission de vengeance transmise de génération en génération. S’ensuit l’enquête un peu maladroite de la juge, à Pékin, cette mégapole où il est difficile de croire qu’une personne seule, sans contact, réussit à créer la panique auprès des autorités après avoir montré une photo floue à un quidam sur la rue. L’auteur nous promène ensuite en Afrique, au Danemark, en Angleterre, toujours en rapport avec ce mystérieux homme d’affaires chinois qui sert les visées expansionnistes de la Chine, et qui semble prêt à tout pour en prélever au passage des dividendes. Cette portion du roman alourdit considérablement l’intrigue. Mankell a voulu nous faire part de ses craintes face au réveil de la Chine et à son entrée agressive sur le marché mondial, tout comme il dénoncait à une époque les dérapages du système socialiste suédois. On aime son engagement social, mais l’amalgame avec l’intrigue policière n’est pas au point cette fois-ci, et on perd de l’intérêt à mesure que l’histoire avance.

Je retrouverais avec plaisir ses deux nouveaux personnages féminins, un peu plus étoffés tout de même, surtout la policière. Un Mankell moyen mais un Mankell quand même avec sa grande qualité d’écriture.

Né en 1948, Henning Mankell partage sa vie entre la Suède et le Mozambique. Lauréat de nombreux prix littéraires. Outre sa célèbre série Wallander, il est l'auteur de romans sur l'Afrique ou de questions de société, de pièces de théâtre et d’ouvrages pour la jeunesse.


texte de Grenouille Noire

No comments:

Post a Comment